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1.
Données physiques et humaines |
2.
La période coloniale
Lintérêt français pour la mer Rouge se réveille dans les années 1840-1860, au moment où elle paraît devoir devenir la grande route de lEurope vers locéan Indien et lExtrême-Orient et que souvrent les marchés du Haut Nil et dAbyssinie. En possession, dès 1862, du territoire dObock, acheté au sultan de Tadjourah, la France ne loccupe quen 1884, au moment des occupations italienne de Massaouah et anglaise de Zeyla qui préludent à la formation de lÉrythrée italienne et de la Somalie anglaise. Entre ces deux territoires, la mer Rouge et lAbyssinie, les Français, ayant transféré le centre administratif de leur possession à Djibouti, constituent, le 22 juillet 1898, la colonie de la Côte française des Somalis. Djibouti navait de valeur que comme débouché de lÉthiopie et comme port descale sur la route de lIndochine. La première fonction fut remplie avec la construction du chemin de fer reliant Addis-Abeba aux rives de la mer Rouge. Prévue dès 1894, la construction, commencée en 1897, ralentie par de nombreuses difficultés politiques et matérielles, saccéléra après la signature dune nouvelle convention avec lÉthiopie en 1908 et le vote par le Parlement français de la garantie de lÉtat en avril 1909, pour sachever en 1917. La voie ferrée, longue de 784 kilomètres, contribua à lessor du port. Escale des Messageries maritimes, il fut régulièrement amélioré (construction des premiers réservoirs à mazout en 1938). Loccupation de lintérieur du pays ne donna lieu quà quelques combats. Lépreuve vint des conditions internationales. LItalie revendiqua le territoire, obtint par laccord de 1935 une participation au chemin de fer. La guerre dÉthiopie, les sanctions économiques en novembre 1935, la prise dAddis-Abeba par les troupes italiennes en mai 1936 et la constitution de lAfrique orientale italienne ralentirent les activités commerciales. Le refus de reconnaître la France libre fit peser un sévère blocus sur la colonie jusquà son ralliement en décembre 1942. Le territoire sortait exsangue en 1945 dune décennie de difficultés. La reprise allait être rapide. Laprès-guerre apporte des transformations administratives importantes, un nouvel élan économique, une foudroyante reprise de la démographie. La Côte française des Somalis devient, en 1946, territoire doutre-mer. Les habitants accèdent au statut de citoyen français, élisent une assemblée territoriale et envoient un représentant à chacune des assemblées métropolitaines. Dix ans plus tard, la loi-cadre de 1956 fait franchir une nouvelle étape en créant, auprès du gouvernement général, un conseil de gouvernement de huit ministres. Lévolution économique est marquée par la restitution à la France du contrôle du chemin de fer, par la transformation en port franc de Djibouti et, corrélativement, le rattachement au dollar du nouveau franc de Djibouti (1949). Le chemin de fer ne retrouve que lentement son rôle davant 1936 (tabl. 3). Aux difficultés de renouvellement dun matériel usé sajoute la concurrence des autres exutoires ouverts par lAbyssinie avec ses ports de Massaouah et Assab en Érythrée. En 1948, le chemin de fer de Djibouti assurait encore 82 p. 100 des importations dAbyssinie, en 1958 il nen contrôle plus que 60 p. 100. Aussi bien est-ce en faveur du port que se concentrent les efforts. Il est considérablement amélioré entre 1950 et 1960 : approfondissement, allongement des quais, extension des installations, agrandissement des dépôts de charbon et des stocks de mazout. Son activité profite du mouvement entraîné par la guerre dIndochine. La poussée démographique, lurbanisation rapide entraînent des difficultés sociales quaccroissent les rivalités ethniques et quutilise le mouvement « pansomalien ». Manifestations de chômeurs en mai 1956, mouvements de revendications et grève générale en août 1956, agitation politique marquent le début des temps troublés. La tension éclate à propos du référendum constitutionnel de septembre 1958. Le leader issa Mahmoud Harbi, considéré comme l« enfant chéri » de ladministration française, se prononce pour le « non » et pour lindépendance ; son rival Hassan Gouled appelle à voter « oui ». Celui-ci lemporte (75 p. 100 des voix). Le résultat entraîne lélection de Hassan Gouled à la vice-présidence du conseil mais ouvre une nouvelle période de luttes entre Issas et Afars (ceux-ci désormais soutenus par la France), entre indépendantistes, partisans de lautonomie interne et tenants de lidée dune Grande Somalie, avec des clivages mouvants sur fond de conflits tribaux. Les présidents de conseil se succèdent tout en respectant le dosage ethnique du gouvernement : 3 Afars, 4 Somalis, 1 Européen. Avec les indépendances africaines des années 1960, le mouvement nationaliste prend de limportance. La République somalie accuse la politique française devant le comité de décolonisation de lO.N.U. En 1964 et auprès de lO.U.A. en 1965. LÉthiopie fait connaître « ses droits éventuels ». Lagitation politique sporadique culmine à loccasion de lescale du général de Gaulle en août 1966. Un nouveau statut du territoire est préparé à Paris et adopté en décembre 1966 par le Parlement. Les électeurs devront se prononcer par référendum le 17 mars 1967 pour le statut dautonomie ou en faveur de lindépendance. Les résultats donnent 22 555 voix pour le maintien dans lensemble français, 14 666 contre. Vers lindépendance, 1967-1977 Après le référendum, les Afars semparent des principaux postes. Le territoire change en juillet 1967 son appellation de Côte française des Somalis en Territoire français des Afars et des Issas. Un calme précaire règne, coupé de brusques tensions tribales ou sociales, dattentats politiques. Les 15 et 16 janvier 1973, la visite du président Georges Pompidou peut, pourtant, se dérouler sans incident et lui permettre de réaffirmer la volonté de la France de se maintenir à Djibouti, ce que redit en mai 1975 le Premier ministre Jacques Chirac au Palais-Bourbon. En fait, la position française se modifiait à ce moment même. Le revirement avait été influencé par lagitation endémique à Djibouti et par le mécontentement général provoqué par les abus du président Aref. Mais les circonstances extérieures avaient été déterminantes. Le maintien de la colonisation française à Djibouti faisait perdre le bénéfice de la politique de décolonisation. La disparition de lempereur Hailé Sélassié en Éthiopie, les difficultés de la révolution à Addis-Abeba modifiaient le rapport des forces dans la région. La valeur même du territoire pour les intérêts français se trouvait remise en question. Lopinion du contre-amiral Schweitzer, selon laquelle « le slogan politique qui fait de Djibouti le verrou de la mer Rouge ne résiste pas à lanalyse : Djibouti na pas de valeur navale », était de plus en plus partagée. Lintérêt économique du port paraissait diminué, la réouverture du canal de Suez nayant pas provoqué les effets attendus. Une fois prise la décision du grand virage, le gouvernement français va sefforcer, de la fin de 1975 au printemps de 1976, de concilier les thèses des leaders et des partis antagonistes. Au nouveau parti dAli Aref, lUnion nationale pour lindépendance (U.N.I.), soppose la Ligue populaire africaine pour lindépendance (L.P.A.I.), dont le président est un Issa (Hassan Gouled Aptidon), mais dont le secrétaire général, Ahmed Dini Amed, est un Afar. Lopposition saccroît entre modérés et intransigeants, entre Afars et Issas, mais aussi entre pro-Abyssins (les ennemis dAli Aref laccusent de sappuyer sur lÉthiopie) et pro-Somaliens (la bienveillance de Mogadiscio étant acquise à la L.P.A.I.). Derrière ce grand jeu des ambitions et des options politiques se crée une série de clivages nés de rivalités personnelles, dintérêts matériels et dinfluences religieuses (opposition des confréries Qadiriyya ou Salihiyya). Abandonné par Paris, devenu minoritaire à lAssemblée territoriale, Ali Aref démissionne le 17 juillet 1976. Son remplacement par Abdallah Mohamed Kamil amorce le mouvement de décolonisation. Il faudra moins dun an pour quil aboutisse. Une table ronde, ouverte à Paris le 28 février 1977, se conclut le 19 mars 1977 par un accord fixant les différentes étapes de laccession à lindépendance (référendum, élections) et esquissant la nature des futurs liens entre la France et le nouvel État. Le référendum du 8 mai 1977, entaché de manuvres et de pressions inverses de celles qui avaient été utilisées naguère, donna, pour un total de 105 962 inscrits, 81 847 votants (77,2 p. 100) dont 80 864 (98,8 p. 100) sexprimèrent en faveur de lindépendance et 199 contre. Il y eut 784 bulletins nuls. Pour les élections à la nouvelle Chambre des députés, le 8 mai également, le front populaire, sous le nom de Rassemblement populaire pour lindépendance, présenta une liste unique de 33 Issas, 30 Afars et 2 Arabes. En labsence de candidat dopposition, la liste remporta tous les sièges avec 92 p. 100 des suffrages. La nouvelle Chambre, réunie le 13 mai, élut à sa présidence Ahmed Dini (L.P.A.I.) et, le 16 mai, pour Premier ministre Hassan Gouled. Le 18 mai, le gouvernement français approuvait le texte de loi confirmant la date du 27 juin 1977 comme celle de lindépendance du nouvel État, qui devait prendre le nom de république de Djibouti. |
3.
La république de Djibouti, 1977-1989 |
4.
Un avenir devenu incertain
Le « demain des orages » prévu depuis des années par certains politologues sensibles au caractère paradoxal de ce « havre de tranquillité » serait-il sur le point darriver ? Le territoire peut-il échapper aux profondes forces contradictoires qui saffrontent dans une région pauvre, surarmée, soumise aux tensions ethniques et nationalistes ainsi quaux appétits et ambitions personnels ? Lalarme fut donnée par lattentat du 27 septembre 1990, à Djibouti, suivi de la tentative de coup dÉtat du 7 janvier 1991, illustrant le blocage de la vie politique. La république est menacée autant par limmobilisme que la déstabilisation, les deux se justifiant mutuellement. Le régime autoritaire de Hassan Gouled Aptidon, renforcé en novembre 1990 par la concentration du pouvoir autour de la présidence, senferme dans la logique, dépassée, du monopartisme (le Rassemblement pour le peuple), sappuie sans contrepoids sur un groupe issa, oppose, dans un cycle bien connu, la seule résistance à lagitation quil nourrit. Tous les défauts inhérents à ce type de régime tournent à la caricature : dévotion au président, Parlement aux ordres, népotisme et concussion. Face à cette usure du pouvoir, les forces de déstabilisation profitent du désengagement régional de lU.R.S.S. et des États-Unis, de leffondrement du régime éthiopien, des réticences croissantes de Paris à cautionner certaines mesures du gouvernement. La guerre civile est déjà présente. Le Front pour le rassemblement de lunité et la démocratie (F.R.U.D.) polarise les mécontents de lethnie afar, de plus en plus marginalisée. Il a profité de la décomposition des forces éthiopiennes au printemps de 1991 pour sarmer largement et se renforcer dune partie de leurs déserteurs. Il a créé un front militaire au nord-ouest, autour des villes dObock et de Tadjourah, directement menacées. Le président Gouled a fait appel, le 20 novembre 1991, à larmée française, réticente à dépasser la simple protection des frontières à laquelle lengagent les accords de défense de 1977. Au début de 1992, les opérations militaires ont gagné le Sud-Est. Elles ouvrent la succession dun président âgé de soixante-quinze ans, dont le mandat, non renouvelable, devrait sachever en 1993. Le leader du F.R.U.D., Mohammed Ayota, fait de son retrait un préalabe à toute négociation. Après sêtre engagé dans le soutien du pouvoir en place par lenvoi de troupes dans les zones frontalières des régions menacées, le gouvernement français, conscient du mécontentement croissant qui gagne même une partie des Issas, sefforce à la médiation. Le report de la réforme constitutionnelle, dénoncé par lopposition armée comme par lopposition modérée, lajournement corrélatif des élections (prévues pour la fin davril 1992), annoncé par le président Hassan Gouled le 19 février « tant que lintégrité de Djibouti nest pas restaurée », confortent Paris dans sa politique de réserve. Tablant sur la crainte de lextension de la guérilla et sur le constat par les populations des effets catastrophiques de lanarchie dans les régions voisines, le gouvernement français sefforce de concilier les impatiences des révoltés et lobstruction du pouvoir à toute ouverture. Il pense à la solution du « troisième homme », si souvent recherchée ailleurs, et si souvent vainement. Elle passe par leffacement de Gouled, la trêve des « maquisards », la reconnaissance dun nouveau leader, Mohammed Djamar Elabé, ancien ministre de la Santé, qui a démissionné le 14 janvier 1992 et qui est considéré comme pouvant regrouper lessentiel de lopposition modérée. Mais le gouvernement refuse toujours le dialogue avec le F.R.U.D. et le cessez-le-feu, annoncé à plusieurs reprises, ne paraît pas proche. Sil était obtenu, des élections pluripartites, sous contrôle international, poseraient linextricable problème préalable du recensement des citoyens-électeurs, de nombreux réfugiés ayant reçu du gouvernement des cartes didentité djiboutiennes afin de renforcer artificiellement le parti issa. Lincertitude politique se nourrit des difficultés économiques et sociales, quelle aggrave. La guerre du Golfe a provoqué une prospérité soudaine. Le port connut une activité exceptionnelle, son trafic passant de 900 000 tonnes en 1989 à 1,4 million en 1990, approchant les 2 millions de tonnes en 1991. Le trafic de laéroport, étant en outre le centre de transit des opérations humanitaires dans le Somaliland et dans lÉthiopie orientale, se développait dans les mêmes proportions. Les troupes françaises, dont le nombre moyen oscille autour de 3 900 hommes (accords de janvier 1977), atteignirent le chiffre record de 5 500 hommes. Mais lembellie était conjoncturelle. Depuis la fin des hostilités, le marché sest effondré, le chômage a brusquement augmenté. La crise économique, qui a débuté au cours du second semestre de 1991, fait réapparaître toutes les faiblesses structurelles de léconomie de Djibouti. Laccroissement de la population en aggrave régulièrement les données : aux dizaines de milliers de réfugiés sajoutent chaque année, en raison de lexcédent des naissances, de 12 000 à 15 000 personnes. Lindice de fécondité ne faiblit pas. Il demeure un des plus élevés du monde, avec un taux constant de 6,6. La scolarisation stagne, ne touchant pas le tiers des enfants. Le développement dun sous-prolétariat de déracinés sans formation et sans avenir fait de la ville de Djibouti, qui concentre désormais plus des trois quarts de la population du pays, une cité de plus en plus ingérable, devant laquelle avortent tous les plans durbanisation au coût chaque année plus prohibitif. À lancien optimisme relatif que justifiait le maintien de cette « oasis de calme » au milieu des convulsions de lensemble de la Corne orientale de lAfrique tend à succéder lappréhension de lendemains incertains. La présence des troupes françaises demeure la garantie dune certaine stabilité et une quasi-unanimité de lopinion et des partis en fait, sur place, désirer le maintien. Mais cette présence fait de plus en plus « un peu figure danachronisme ». La fluctuation des effectifs suivant la conjoncture et leur baisse prévue à 3 500 hommes soulignent la précarité de leur présence. Le destin du pays se joue autant à Paris quà Djibouti. Les civils français représentent 90 p. 100 de la population européenne. La France contribue pour près de 60 p. 100 au produit national brut du territoire. Elle a installé, soutenu le régime actuel, dont le sort dépend de ses décisions. Celles-ci sont liées pour lessentiel à des facteurs géostratégiques en pleine évolution. Djibouti est entrée dans lère des incertitudes. Il est moins sûr que naguère quelle puisse échapper aux drames sanglants des recompositions qui bouleversent, pour longtemps, toute la région. |